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LES PUBLICATIONS DE BERNARD MOREL
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LES PUBLICATIONS DE BERNARD MOREL
20 mars 2020

EVOCATIONS DE SOUVENIRS DE JEUNESSE

 

                                                        NOUVELLE SIGNIFICATIVE

                                                           DE TEMPS DE GUERRE !

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              ÉVOCATIONS DE LOINTAINS ET DOULOUREUX SOUVENIRS DE PRIME JEUNESSE

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            A nouveau, c'est un véritable besoin qui m'anime de retracer quelques épiques souvenirs d'enfance enregistrés lors de ma prime jeunesse. Certes, ils sont nombreux et je ne choisirai qu'a relater les plus importants d'entre eux. C'est donc avec le même plaisir et une comparable détermination que je vais m'appliquer dans leur narration !

            Ces événements se sont produits dans la première partie du 20ème siècle qui restera fertile en péripéties de toute nature. Afin d'en extraire les principaux qui ont émaillés les quatre premières décennies, je me limiterai qu'à en rapporter leurs grandes lignes, eu égard aux très nombreux ouvrages littéraires qui ont illustré leurs récits et développements et qui pourraient remplir de multiples et impressionnantes bibliothéques à travers le monde.     

            De façon très synthétique, la naissance du 20ème siècle est héritière du développement industriel grandissant et prospère qui vient d'exploser à la fin du précédent. Durant cette première décennie qualifiée de "La Belle époque" où tout semble resplendissant, une seconde période d'une trentaine d'années va s'avérer beaucoup plus préoccupante et se révéler extrêmement inquiétante, voire désastreuse. Au cours de la seconde décennie, le continent européen va s'enliser dans les atrocités de la Première Guerre mondiale au prix de millions de morts civils et militaires. La guerre des tranchées en reste le plus cruel symbole. Dans son néfaste prolongement, ce sont les économies de marchés mondiaux qui se trouvent terriblement affectées pour sombrer lors du crash boursier du jeudi noir d'octobre 1929 et assurer des ruines entières de valeureux individus. Les autres continents en seront passablement affectés peu de temps après, dont notre Nation française.

                                                                                    

             Les seules photos rescapées…, quelques mois après la naissance de Bernard

            La troisième décennie lui succède dans un marasme financier en totale perdition et sans avenir prometteur. C'est en fin de l'année 1932 que se situe ma naissance. C'est donc dans une pauvreté financière marquée que se situe mon entrée dans le monde des humains. La situation financière parentale est des plus modeste et ressemble étrangement à l'image de nombreux foyers ouvriers dépourvus de ressources minimales élémentaires. En 1936 et dans des situations plus que belliqueuses, c'est l'avènement du "Front Populaire " sous le règne du Président Léon Blum. Des émeutes de mécontentement surgissent sur tout le territoire national et une dégradation du climat général est enregistrée un peu partout. Au niveau européen, la situation n'est guère meilleure et de graves tensions se développent entre deux camps rivaux. Il est vrai que le nouveau chancelier d'Allemagne Adolf Hitler élu en 1933, leader du National socialisme et prônant le nazisme radical ne recule devant rien et engendre les pires inquiétudes. Des exigences réitérées pour l'obtention d'annexions de territoires obligent les partenaires ou belligérants à des conciliabules compromettants. Bref, à partir de 1938, les tensions se diversifient pour se terminer par l'invasion sournoise de l'Etat voisin La Pologne le 1er septembre 1939, au prix de nombreuses victimes civiles et militaires. D'ores et déjà, l'Angleterre et la France s'unissent, à nouveau, et déclarent les hostilités à l'Allemagne nazie le dimanche 03 septembre 1939. C'est la naissance de la Seconde Guerre mondiale avec toutes les incertitudes des peuples rivaux, puis les problématiques qu'elle va engendrer durant la longue période cruciale de six années infernales (1939 -1945). A son terme, elle se soldera par des destructions massives apocalyptiques, de vastes champs de ruines au niveau mondial et la folie de combats ou d'atrocités en vies humaines terriblement meurtrières.

            La quatrième décennie va plonger les belligérants dans une guerre mondiale à l'échelle planétaire et impliquer les plus importants Etats à s'affronter monstrueusement en divers endroits du globe. Durant cette longue période de misère terrestre, plus de 60 millions d'êtres humains, civils et militaires y laisseront leur vie ! Des actes de cruauté sauvage et de terreur inimaginable s'en dégageront pour démontrer combien l'homme du 20ème siècle a perdu toute sa raison dans des massacres démentiels que le régime animal se refuserait à commettre ! L'homme a sombré dans la plénitude des horreurs et ces criminels laisseront leurs indélébiles stigmates pour l'éternité. En effet, après la naissance de la Seconde Guerre au niveau européen, les U.S.A veulent s'abstenir de rentrer dans ce nouveau conflit et assurent les Alliés de livraisons d'armes en quantités suffisantes. Il faudra attendre l'attaque sournoise des japonais sur la base aérienne américaine de Pearl Harbour le 7 décembre 1941 et les destructions massives de leur potentiel aéronautique pour décider le Président Franklin Roosevelt à déclarer la guerre à l'empire japonais et se ranger aux côtés des armées franco-anglaises. C'est vraiment la naissance de la Seconde Guerre Mondiale.

            De façon parallèle, le subtil despote Adolf Hitler manigance son homologue Joseph Staline pour la recherche d'un pacte de non-agression avec l'U.R.S.S. avant d'envahir la Pologne et pour avoir les mains libres. Leurs ministres plénipotentiaires réciproques le concluent le 23 août 1939 pour une durée de 10 ans. Dès qu'il en a terminé avec les conquêtes d'une partie de la France et de petits Etats européens, son ambition malveillante le conduit à entreprendre de nouvelles dominations. Désormais, ce sont les richesses minérales, dont du pétrole, qui vont lui faire défaut et il éprouve la nécessité de conquérir celles de l'U.R.S. S. ! Qu'importe l'existence du pacte de non-agression avec les bolcheviques, ses tentations sont grandes d'envahir le pays le plus rapidement possible. La rupture du pacte de non-agression a lieu le 22 juin 1941. Les premières conquêtes sont aisées et bientôt les armées allemandes sont aux portes de Moscou. La traîtrise est un plat qui se mange froid semble se dire Staline et tous ses proches collaborateurs et généraux et l'arrivée de l'hiver impitoyable vont conjuguer leurs actions pour en empêcher la réalisation. Cependant et dès lors, nous sommes bien au cœur d'une Seconde Guerre Mondiale pour une durée indéterminée !

 

      Maison restaurée entièrement par mes soins de 1970 à 2010, au lieu-dit Le Ronchay -                                                            de la commune de Luneray

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                           DES VÉCUS PERSONNELS ET FAMILIAUX DURANT CETTE PÉRIODE !

           A l'aube de l'année 1939, je viens d'avoir tous justes six ans et d'après mes parents et amis ainsi que mes premières maîtresses d'école, je suis un petit garçon très éveillé et gentil espiègle, associant le sérieux dans mes premières études scolaires et un élève débridé par ailleurs, qui aime se défouler, rire et plaisanter ! Bref, je m'intéresse à tout, suis d'une curiosité naturelle et j'aime profondément échanger avec mes prodigieux parents et notamment auprès de mon adorable papa Octave, mais prénommé Henri en toute circonstance ?

            De son côté, maman Berthe est une "Mère poule" qui n'a comme ambition d'élever leur fratrie de quatre enfants le plus correctement possible au travers d'une éducation civile et religieuse conforme à la tradition de l'époque. C'est une excellente cuisinière de Cordon Bleu et une ménagère exemplaire pour conserver une qualité au très modeste logis qui se résume à une vaste pièce centrale appelée la cuisine. Deux rares chambres bien précaires et quelques pièces de rangements rudimentaires complètent cette vétuste habitation. Cependant, elles sont toujours très bien entretenues et se trouvent bien appréciées par toute l'attachante famille.  Bref, notre merveilleuse tutrice maternelle excelle en tous points. Un peu plus tard et pour assurer le sauvetage du foyer par l'absence de son mari (hospitalisation pour jambe cassée et son décès huit ans après), elle nous apparaîtra comme une femme sublime, majestueuse, belle, charmante, volontaire et supérieurement méritante au point de forcer notre totale admiration ! Encore à ce jour, elle restera et pour toujours l'idéale d'une femme parfaite !

             En ce qui concerne son bien-aimé mari Henri, notre merveilleux papa, j'ose exprimer qu'ils nous sont apparus dans toute la plénitude d'un couple très heureux, uni et parfait. Personnellement, ils ont été mes exemples et mon modèle et le sont restés pour l'éternité. Comme sa précieuse épouse, lui-même était doté d'une culture raffinée, lisait énormément le soir..., qui lui était sa seule distraction et s'intéressait énormément aux informations générales par le biais des journaux quotidiens, dont l'ardent Journal de Rouen qui faisait figure de privilégié au niveau régional.

                                               

                            Mon oncle Pierre, frère de papa Henri, à l'extrême droite.

              Mon père Henri voit le jour au début du 20ème siècle et va grandir durant la "Belle époque". A l'âge de six ans, il étrenne le nouveau et bel ensemble scolaire de Luneray en 1906. Il est le dernier d'une fratrie de quatre enfants (deux filles et deux garçons) dans un milieu familial chaleureux mais aux ressources bien précaires. Bref, une paisible prime jeunesse qui se verra détruite à l'âge de 15 ans par le décès de son frère Pierre tué et Mort pour la Patrie, lors de la Première Guerre le 06 avril 1915 en Argonne à l'âge de 20 ans. Ils s'adoraient et papa s'en trouve très affecté. Ses valeureux parents Pierre et Victoria ne s'en remettront jamais et sa brave maman en mourra de désespoir et de chagrin, quelques années après, le 1er octobre 1928 !

                   

             Mon père Henri              Ma mère Berthe     Ma Grand-mère Alexandrine   

              A la naissance de la Seconde Guerre, notre père a 39 ans et est à la tête d'une famille de quatre enfants.

              Par priorité, l'ordre de mobilisation s'adresse aux célibataires et pères sans enfant, puis 1- 2 -3 et enfin ceux de 4 gosses. C'est donc vers la mi-septembre qu'il reçoit son ordre de mobilisation, de son facteur M. Malot qui se trouve dans la même situation, pour une affectation dans "la Défense passive" dans une caserne de Bois Guillaume près de Rouen. C'est le drame familial car il est le seul à s'occuper de la petite fermette d'une dizaine d'hectares et de quelque vaches et le couple se demande comment il va s'en sortir ! Un brave cultivateur M. Fernand Ouvry lui promet de lui assurer ses travaux dans les champs et d'aider son épouse lorsqu'elle en formulera le besoin. Cette heureuse proposition les rassure, mais il leur faut encore régler le problème des traites des vaches, leurs vêlages qui se profilent et leur hébergement à l'étable au cours de l'hiver qui arrive prochainement. De grandes discussions interviennent à la recherche des meilleures solutions et j'y participe discrètement par un comportement très attentif. Le mot du petit Bernard revient assez souvent et j'y prête beaucoup d'intérêt. Il est avancé que je vais prendre mes sept ans dans moins de deux mois et que je pourrai aider ma brave mère dans des travaux adaptables à ma morphologie. Je les assure de toute mon adhésion sur le champ et souligne que ma chère maman n'aura qu'à faire la traite des vaches. Je passerai le lait à l'écrémeuse et j'assurerai le fonctionnement de la baratte pour en extraire le beurre. Bref, j'ajoute encore que j'interviendrai dans les étables le moment venu pour bien aider maman. Au terme de cette nouvelle organisation, toute la petite famille se sent un peu rassurée. C'est vrai que du côté de mes sœurs Marie-Thérèse et Anne-Marie, elles travaillent superbement pour aider leur mère au niveau de toutes ses tâches ménagères et leur réaffirment que maman pourra compter sur elles. Quant à la cadette la petite Antoinette, elle n'a que 18 mois et ne peux absolument pas intervenir.

           Le jour "J" est arrivé et notre père nous quitte pour rejoindre Bois-Guillaume à bicyclette, pour une distance de soixante kilomètres. Ce n'est pas un vélo de haute qualité, mais c'est encore l'époque où le coup de pédale est de première nécessité. Je le vois encore partir revêtu de son costume marron, les larmes aux yeux, emportant avec lui  nos abondants pleurs ! Sa sœur aînée Julia tient une boulangerie qui existe toujours à Bois Guillaume et il peut se restaurer et se délasser un petit peu avant de rentrer dans le casernement.

            Il est affecté dans un service de la Défense passive et ne reçoit aucune consigne pour s'occuper. Tout comme ces nouvelles recrues mobilisées, il ne perçoit qu'une simple musette entoilée et un masque à gaz. Il conserve son costume marron et sa casquette journalière. Bref, c'est un véritable gâchis et ces recrues de dernière heure seraient assurément beaucoup plus utiles à vaquer à leurs propres occupations chez eux. Certes et notamment en soirée, ils doivent satisfaire à la peinture de toutes les vitres, à la chaux, pour atténuer les lumières éclairantes et donnant sur l'extérieur. En vérité, c'est l'objet de la défense passive et les mêmes consignes sont imposées à toutes les maisons d'habitations de ville ou de la campagne pour dissimuler toutes les lueurs émanant des ampoules électriques ou cierges, etc. Le but recherché est d'empêcher les aviateurs allemands de localiser l'ensemble des éclairages publics de la cité afin qu'ils ne peuvent détecter les quelques sites militaires stratégiques importants.

              Papa Henri s'acquitte avec regret de cette situation d'oisiveté décevante, en jouant aux cartes ou aux dominos qui restent les jeux préférés des normands. En fin de semaine, ils retournent dans leurs foyers, ce qui permet aux petits "bricoliers" de l'agriculture de s'activer à leurs travaux agricoles. Mon père emprunte donc le chemin du retour et nous sommes tous ravis lorsqu'on le voit franchir la petite barrière d'entrée. On se précipite pour l'embrasser et le couvrir de gros baisers. Lui-même est visiblement heureux de retrouver les siens pour vivre quelques heures de pur bonheur et travailler. Ce petit manège d'allers et retours va durer environ cinq semaines. En effet, le gouvernement de l'époque décide d'accorder une permission exceptionnelle de huit jours à tous les cultivateurs céréaliers pour leur permettre d'ensemencer leurs "blés d'hiver". Notre père s'en trouve donc bénéficiaire durant la semaine du 30 octobre au 05 novembre 1939. C'est la joie dans le foyer qui va retrouver l'ambiance d'antan des jours heureux ! Quant à moi, je suis aux anges car je vais pouvoir retrouver l'homme que je ne quitte pas et qui le suis partout lorsque je suis libéré des cours de l'école. Aussi, je lui montre tout ce que j'accomplis à l'égard de la bienveillante maman durant ses absences. Il en profite pour me donner quelques petites tapes de félicitations et avant de formuler ses derniers conseils qui me seront très utiles.

                        LA JOIE DES RETROUVAILLES ET LE DRAME DU JEUDI APRÈS-MIDI

            Depuis le début de la semaine, mon père s'est activé à la préparation du terrain propice à être ensemencé, à l'aide de ses deux chevaux bien entraînés à ces travaux aratoires et de finition. Tout s'est relativement bien passé, à l'exception de ce temps automnal jugé un peu trop pluvieux. Le soir et avant d'aller se coucher, nous retrouvons les chaleureuses soirées au cours desquelles de délicieux dîners nous étaient concoctés par notre valeureuse mère.

            Après deux jours passés dans les champs, c'est le jour férié du mercredi 1er novembre et les écoles sont fermées. Comme le jeudi est le jour de repos hebdomadaire des élèves, et qu'il n'a pas de vacances à l'époque, les mômes sont bénéficiaires de deux jours de vacance successifs. De son côté, le chef de famille s'acquitte encore à bien terminer ses préparations, puis envisage d'aller chercher les cents kilos de blé de semence chez son bon ami agriculteur M. Fernand Ouvry. Il a également l'accord de son charretier et ami M. Emile Corruble pour lui ensemencer son blé avec le semoir de la ferme, comme il en est d'usage depuis longtemps. Ils négocient donc la date du vendredi 03 pour effectuer ce travail de semis.

            Tout s'est relativement bien déroulé et cette permission s'annonce donc bien profitable. Il ne lui reste plus qu'à se rendre à la ferme pour récupérer son blé de semence. Ces graines se trouvent entreposées, bien au sec, à l'étage d'un grenier extérieur. Pour y accéder, il faut gravir un escalier en pierre, recouvert par endroit de lichen, qui au contact de la fine pluie le rend très glissant. Papa charge son sac sur son dos et entreprend sa descente avec prudence. Ce n'est pas un coup d'essai et il a fait ce travail plusieurs fois auparavant. A deux marches de la fin, c'est le drame ! Son godillot gauche dérape sur ce végétal mouillé et il ne peut éviter la chute ! La masse des cents kilos s'abat sur sa jambe gauche et c'est l'inévitable fracture tant redoutée. Des ouvriers de la ferme, en proximité, ont entendu ses cris et son appel et accourent précipitamment. C'est l'affolement momentané, puis le papa handicapé demande son retour à sa maison le plus vite possible et d'appeler le Dr. Arnal en urgence. C'est un docteur retraité qui a dû reprendre du service pour suppléer l'unique docteur Robert Varin en exercice dans la vaste région luneraysienne et bien au delà !
Mobilisé depuis plusieurs mois, il se trouve donc absent actuellement. Plusieurs ouvriers le transportent sur un brancard de fortune et nous interpellent ainsi : " Votre père vient de se casser la jambe et débarrassez la grande table de la cuisine pour l'allonger "! Petit garçon, je me sens terrorisé car j'ai mal interprété et j'ai cru que sa jambe était sectionnée et tombait dans le vide. A la vue de mon père avec son corps en entier, je me suis senti un peu rassuré et nous avons pu comprendre ce que voulait dire cette rituelle phrase "jambe cassée"…, devenue beaucoup plus tard l'expression "fracture de la cheville !" Bref, cela m'a beaucoup traumatisé l'espace d'un moment puis je reprends mes esprits à la vue de ce brave papa qui souffre terriblement, mais qui s'efforce de rassurer toute son attachante petite famille et réconforter sa chère épouse. Sa permission se termine bien mal et il faut en avertir les autorités militaires.

            Déjà, les ouvriers sont repartis et maman est dans l'attente du docteur Arnal. La solidarité inébranlable du voisinage qui vient d'apprendre la mauvaise nouvelle, s'affaire près de ce docteur apprécié et lui précise qu'ils vont venir  le chercher. Il s'est muni d'une "jambière" qu'il a en sa possession et intervient dans les meilleurs délais. Dès son arrivée, il ausculte son patient et nous nous écartons pour lui laisser l'espace total. Puis, il s'emploie, avec délicatesse et précaution, à lui placer toute sa jambe gauche dans cette jambière prévue à cette effet et tout ce qui gravite autour. Il a au préalable fait le nécessaire au Pavillon militaire de l'Hôpital de Dieppe pour obtenir une entrée en précisant le mobile de son hospitalisation. Il n'existe pas de service ambulancier, mais son ami M. Raoul Lardans chef d'entreprise du tissage voisin a assuré notre mère d'effectuer son transport et de la prendre pour l'accompagner. Il lui précise qu'il l'attendra le temps des formalités d'entrée et qu'il peut l'aider dans ses démarches le cas échéant. Bref, tout a été assez vite et les esprits de toute la famille se trouvent un peu rassurés. Je revois encore ce douloureux départ à chaudes larmes qui restera ancré à vie dans ma mémoire de gosse !

            Avant le départ, maman nous place sous l'autorité de notre sœur aînée Marie Thérèse et de bien l'écouter, en attendant l'arrivée de Grand-mère. Elle va s'occuper de vous et vous donner à manger ce soir. Je rentrerai avec M. Lardans et restez bien sages mes chers Petits. Je suis déjà très proche de ma sœur et lui dit qu'elle peut compter sur moi pour l'aider dans ses tâches ménagères. Notre sœur Anne Marie qui a quatre ans et huit mois devine que quelque chose de très grave vient de se passer avec le départ de son attachant papa pour l'hôpital de Dieppe. Elle s'associe à notre peine et à nos inquiétudes et montre qu'elle peut aussi nous aider. Quant à la petite cadette Antoinette, elle n'a que dix huit mois et ne peut être d'aucune utilité. Ce ravissant bébé apparaît plutôt comme une servitude et a réellement besoin que l'on s'occupe bien d'elle et qu'on la protège. Anne-Marie sera d'un précieux secours et s'en occupera à bon escient. A nouveau, la dévouée fratrie va user de tout son zèle enfantin pour bien subvenir au besoin du foyer en l'absence de leur papa et en précieux secours à leur admirable maman !  

            Notre Grand-mère Alexandrine Lheureux très attachée à notre foyer en est bien vite alertée. Habitant le village voisin d'Avremesnil, seuls deux bons kilomètres séparent les habitations et elle s'engage à venir au plus vite. Cette maîtresse et belle femme, à la stature imposante, était d'une gentillesse hors du commun. Elle se trouvait veuve depuis vingt ans de son dévoué mari Avite, mort des suites de la "terrible grippe espagnole en décembre 1919" qui provoqua d'immenses pertes en vies humaines sur le territoire national et dans le monde entier. Les statistiques en dénombrent 165.000 au niveau français et entre 20 à 50 millions au plan mondial.

            A son arrivée, nous sommes profondément heureux de l'avoir à nos côtés et de prendre en mains la gestion de toute la maison. Sa fille Berthe se sent elle-même soulagée car elle va s'occuper de toutes les nombreuses affaires relevant de sa compétence et sachant que son travail reste exemplaire. Maman rentre tardivement du Pavillon militaire de l'hôpital de Dieppe car les formalités d'entrée lui ont pris beaucoup de temps. M. Ouvry a chargé son vacher de traire ses vaches et d'amener le lait à la maison. Je l'ai accueilli et entreposé dans la laiterie. Bref, les trois gosses s'emploient à faire le mieux possible afin qu'il ne lui reste plus grand-chose à entreprendre à son retour. Alexandrine et tous ses Petits-enfants se pressent pour lui faire la bise et l'écouter. Marie Thérèse s'occupe de réchauffer la soupe qui sera le seul plat qu'elle absorbera. Il est déjà très tard et tout le monde monte se coucher car la journée du lendemain risque d'être longue et pressante !       

                       

  Bernard – Anne-Marie – Marie Thérèse              La maison natale de ma prime enfance

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               SIX MOIS D'HOSPITALISATION AU PAVILLON MILITAIRE A L'HȎPITAL DE DIEPPE

            Dès le lendemain matin, maman s'affaire à la traite des vaches dans une pâture à un kilomètre du domicile. Sur le chemin du retour, de bons voisins lui renouvellent leurs concours à l'aider dans des tâches de travaux agricoles, tout en prenant des nouvelles de son mari Henri. Elle les en remercie et leur précise que l'une des principales serait de ramener les vaches dans la cour de la fermette pour qu'elles broutent l'herbe déjà haute. Ainsi et durant une dizaine de jours, je n'aurai pas de déplacements à faire. Tout commence à s'organiser et il va falloir faire front de toutes parts, car les médecins en fonction ne sont guère optimistes. Outre ses nouvelles charges envers les animaux et la traite, il y a les deux chevaux à s'occuper. Ce n'est pas le travail d'une femme et le voisin M. Jules Leprince se propose de venir s'en occuper tous les jours et de s'en servir pour accomplir des travaux pour la ferme ou pour ses propres besoins, le cas échéant, si nous lui en donnons l'autorisation. Maman acquiesce spontanément.

            De son côté, Grand-mère s'est levée aux aurores et a confectionné tout ce qu'il faut pour le petit déjeuner. Le samedi matin, Marie-Thérèse et moi nous préparons pour aller toute la journée à l'école, en revenant déjeuner le midi à la maison. Au retour, nous prêtons notre petit concours à nos aînés dans des travaux qui relèvent de notre compétence. Il y a une terrible blessure ancrée dans chacun de nous, mais nous ne voulons pas trop s'attarder sur les conséquences à venir et davantage se préoccuper sur les tâches qui nous sont investies. Les conversations se rapportant à notre papa blessé se déroulent plutôt le soir au cours de nos dîners. Parmi elles, il est décidé que maman se rendra deux fois par semaine rendre visite à Henri, avec l'un des enfants accompagnateur. Ils prendront le car Wampouille qui assure la ligne Luneray-Dieppe, aller et retour. Ainsi, le blessé meurtri dans ses chairs, comme dans son cœur, verra régulièrement ses quatre chers enfants à tour de rôle. Cette proposition sied l'ensemble de l'attachante famille. Lorsque c'est à mon tour, je ressens cela comme une joie intérieure débordante. En effet, la présence d'un père me manque beaucoup car j'étais tellement habitué à le suivre partout, à l'accompagner dans ses travaux de la plaine, en dehors de l'école, et l'aider dans de menus travaux de mon âge. Il aimait aussi que le seul élément masculin, son propre fils, se passionne envers le travail de la terre etc. Au-delà et comme l'avait décidé Dame nature, il adorait toutes mes espiègleries qui se résumaient principalement à rire gentiment de tout et de rien, sans l'ombre d'une quelconque méchanceté, agressivité ou perversité. Il aimait profondément ses quatre enfants et sa charmante épouse Berthe, mais raffolait de son petit garçon Bernard. Ainsi, durant les deux heures que nous passions près de lui sur son lit d'hôpital, je m'adonnais beaucoup à l'écouter échanger avec sa femme, étant assis au fond de son lit et en prenant soin d'être loin de sa cheville brisée. Les conversations portaient surtout sur des conseils avertis pour que maman puisse en tenir compte constamment. Entre deux conseils, il n'oubliait pas de lui rappeler qu'elle pouvait compter sur moi et bien souvent…, il s'exprimait ainsi : "Le p'tit Bernard pourra t'aider…, il sait comment faire" ! – "N'aie pas de scrupule à l'interpeller car il a l'habitude de grimper dans la grange" –  "Il pourra vider les étables- t'amener les betteraves- les bottes de paille ou le foin " – "Il est très courageux et n'hésite pas à te décharger sur ce qu'il peut faire" – N'est-ce pas mon garçon ! – J'acquiesçais spontanément et j'en ajoutais parfois sur des travaux tels : conduire ou aller chercher les vaches à la plaine ou les mettre au piquet et renouveler les parcelles à brouter ! –Le ramassage des œufs était parmi mes préférences, car je savais ou certaines poules pondaient dans les granges et ou personne ne pouvait s'y rendre ! – Ce qui était parfois considéré comme une corvée et notamment de s'occuper d'alimenter l'unique poêle en charbon et bois, cela m'était devenu une habitude familière que je pratiquais journellement sans la moindre réticence. etc. etc. !

            Au-delà et dans un esprit comparable, papa prenait un véritable plaisir à s'intéresser aussi aux travaux d'école et aux résultats obtenus de ses deux ainés Marie Thérèse et moi. Dans ce domaine, maman prenait la parole et lui apportait les résultats des interrogations mensuelles chiffrées et ceux des compositions trimestrielles qui définissaient le classement par division. Les conversations allaient bon train et toutes s'auréolaient de sourires bienveillants. C'est vrai que ma sœur aînée était une brillante élève, très sérieuse, assurément douée qui n'obtenait que de respectables notes appréciées par sa maîtresse et à fortiori par ses parents. Quant à moi, des résultats semblables et comparables à Marie-Thérèse…, et qui faisaient l'ardent bonheur de toute la famille. Des notes de qualité dans toutes les matières, y compris en E.P.S. et qui me propulsaient toujours en tête de la division. A l'examen approfondi par le clairvoyant papa, et sans m'encenser exagérément, l'on devenait l'entière satisfaction d'un heureux papa cloué sur son lit d'hôpital et sans pouvoir s'en sortir ? Des moments familiaux pleins de bonheur intense, mais de trop courte durée et il nous fallait reprendre la route du retour par le car pour retrouver les nécessaires travaux agricoles.     

           UNE DURÉE D'HOSPITALISATION INSENSÉE…? COMPARÉE A NOS JOURS ACTUELS !

            Le regrettable et déplorable accident a eu lieu le 02 novembre 1939. Les médecins militaires en définissent une fracture ouverte de la cheville et l'opère. Puis, ils replacent la jambe dans une jambière pour la maintenir bien droite. La kinésithérapie n'existe pas en France et aucune manipulation ne semble avoir été pratiquée, ni même quelques mouvements élémentaires pour renforcer ses muscles. Je doute très sérieusement de l'exercice de petites marches avec assistanat, car je n'en ai jamais entendu parler ? Chaque fois que nous lui avons rendu visite, nous l'avons toujours découvert sur son lit et dans une semblable et immuable position ! Papa ne nous a jamais accompagné de quelques mètres, de cette chambre commune à plusieurs lits jusqu'au couloir de sortie, ne serait ce pour avoir quelques brèves secondes d'intimité familiale ? Ma mère s'inquiétait constamment près des autorités militaires, sans avoir le moindre réconfort moral et sans connaître l'évolution de sa fracture et le jour où il pourrait remarcher. Bref, ce furent plus de six mois d'immobilisation sur un lit d'hôpital à ronger son frein et sans aucune espérance d'en sortir et sans savoir comment se rétablirait sa nécessaire marche avec ce pied handicapé.

            De pénibles mois au niveau mental, dans le vague absolu et sans jamais savoir quoi penser de l'avenir ? Dans le même esprit, le mois de décembre avec ses petites espérances de Noël et les retrouvailles familiales, fussent-elles modestes, car la guerre ne se prêtait guère à des réjouissances débordantes, notre petit foyer s'en voyait privé au point de semer la plus grande désolation que nous ayons connue avec l'absence d'un père si chaleureux. Il nous restera de ce Noël 1939 le souvenir d'une journée la plus attristante qu'il soit !

            Bientôt, ce sont des mois hivernaux qu'il va falloir affronter. Au cours de cet hiver 39-40 qui restera parmi le plus glacial que nous ayons connu, ces mois de janvier, février et voire mars ont exigé une main d'œuvre beaucoup plus conséquente, tant dans l'occupation des animaux à l'étable ou dans les écuries ; qu'au niveau des habitations souvent très précaires et difficiles à chauffer, où la présence d'un chef de famille se justifiait totalement. Nous avons donc été privé de ce précieux homme durant ses six mois d'inactivité et sa présence à la maison aurait été assurément des plus utile et réconfortante. En outre, elle aurait eu comme mesure concrète d'empêcher notre mère de se rendre deux fois par semaine à Dieppe, lui occasionnant des frais inutiles et la priver de pouvoir travailler. Cela restera parmi les mystères de l'Armée, car ce n'est pas faute de l'avoir demandé de multiples fois, sans jamais avoir été entendue ! Ainsi, son maintien dans le Pavillon militaire aura été des plus préjudiciables à notre foyer et n'aura rien apporté à notre père sur le plan physique et médical.

          Les jours s'écoulent ainsi durant des semaines et des mois à notre plus grande déception, d'autant que nous ne savons toujours pas le jour de sa sortie et dans quelles conditions il en ressortira ? Aucune information n'est formulée envers quiconque et de nombreux sodats hospitalisés s'inquiètent du mutisme absolu et navrant de l'Armée. La fin de l'hiver est pesante et les mois printaniers ne laissent présager rien de prometteur. Néanmoins, les beaux jours vont être le prétexte à Adolf Hitler et à ses généraux pour continuer la lutte et envahir une grande partie de l'Europe, dont la France par priorité. C'est à compter du 10 mai que se termine la guerre de position des belligérants et que le Furher relance les hostilités terrestres pour envahier la partie occidentale de l'Europe. Dès lors, les militaires en hospitalisation réclament leur libération de toute urgence, afin de ne point être fait prisonnier sur leur lit d'hôpital. C'est donc une guerre interne qui s'étoffe rapidement à Dieppe et qui prend une telle ampleur que les gradés en réfèrent au Commandement de Rouen pour connaître leur position face aux avancées écrasantes des armées motorisées allemandes.

            Le soldat Henri Morel juge enfin venu le moment de s'expliquerprès des autorités médicales et de leur avouer son ardent désir de partir pour rentrer chez lui au plus vite. Ses camarades de chambrée l'imitent et l'ambiance est à l'extrême exaspération. A titre personnel et en suivant les informations qui ne parlent que du réveil allemand et de leurs fulgurantes conquêtes ; papa s'est confié à sa femme pour qu'elle contacte son bon ami Jean Ricoeur artisan menuisier à Luneray pour qu'il vienne le chercher au plus vite. Cet homme lui a rendu de nombreuses visites, voire en amenant maman pour faire de nécessaires économies d'autocar, et il connaît parfaitement l'endroit de sa chambre. Très rapidement, des informations de libération circulent et il leur est recommandé d'aller se faire démobiliser à Rouen. C'est à la date du 16 mai que le retour, tant attendu, s'effectue pour le plus grand bonheur de toute la petite famille.

            Dès le franchissement de la petite voiturette bleue par le grand portail afin que la distance jusqu'à l'entrée de la cuisine soit la plus courte possible, je revois encore notre père s'aider de ses deux cannes en bois placées sous ses aisselles pour l'assurer de bien le supporter et lui permettre d'avancer à petits pas. Et dire qu'il aura fallu attendre exactement six mois et demi pour en arriver là ! Décevante constatation qui nous est restée en travers de la gorge et que nous n'avons jamais oubliée ? Enfin, notre père est visiblement heureux de retrouver son confortable chez soi et il s'effondre à chaudes larmes, tant cet instant était attendu depuis des lustres ! Une petite réception amicale et reconnaissante envers son bon ami Jean achève ce retour dans l'espoir d'un mieux être.

            Afin d'établir un examen comparatif à quatre-vingts ans d'existence d'une part et, des progrès évidents de la science, de la médecine, de la chirurgie et de la kinésithérapie etc. d'autre part, comment peut-on admettre qu'une opération d'une cheville fracturée ait pu nécessiter plus de six mois d'inactivité en laissant le patient cloué au lit..., alors que de nos jours l'on peut presque admettre que l'opéré puisse ressortir le soir même au titre d'une intervention chirurgicale en ambulatoire ? Nous sommes obligés de se poser la question et constater l'exagération outrancière des services de médecine et opératoire des armées de l'époque !

 

                                        L'APPRÉCIABLE RETOUR  AU FOYER DU PAPA HENRI

                    MAIS L'INCAPACITÉ D'UNE MARCHE NORMALE ET SANS LES BÉQUILLES

            Le foyer a retrouvé son chef de famille et s'en réjouit. Toutefois, c'est un homme bien diminué et notamment au niveau de sa marche quasi inexistante. Sans ses deux béquilles, il ne peut rien faire et  entreprendre au niveau des plus petits travaux agricoles. D'une volonté farouche, il s'emploie à faire quelques mouvements de rééducation, comparables en tous points à ceux des kinésithérapeutes, mais sans en connaître la moindre existence. Petit à petit, il s'adonne à quelques tâches ménagères, passe le lait à l'écrémeuse, fais quelques menus travaux mais de préférence en position assise. Bref, son ardent désir consiste à retrouver au plus vite ses activités d'avant l'accident. Les vaches ont repris le chemin des pâtures, ce qui soulage énormément maman. Quant à ses deux chevaux, qui l'ont reconnu rapidement, il peut les sortir dans la cour de la ferme et ils semblent bien l'apprécier. Son ami Jules Leprince continue de pourvoir à leur entretien quotidien, mais Henri lui précise qu'il va s'efforcer de le remplacer dès que sa marche sera plus franche et stable. Il en profite pour lui renouveler sa gratitude et lui préciser qu'il peut les utiliser pour ses petits usages.

            De mon côté, mes journées d'écolier sont bien remplies et les résultats demeurent toujours prometteurs. Le jeudi matin est réservé à l'éducation religieuse et l'abbé Létournel me sanctionne de bonnes notes dans les interrogations du catéchisme. Au niveau des études élémentaires, tout semble aller pour le mieux et mes parents s'en réjouissent. Néanmoins, dès que je retrouve la maison, ma première préoccupation est de retrouver mon brave papa. Chaque jour, sa volonté est d'en faire un peu plus que la veille et je m'attarde à l'aider s'il éprouve quelques difficultés ou simplement lui tenir ou lui apporter ses précieuses béquilles.

            Les informations  ne sont guère réjouissantes et chaque jour elles rapportent les avancées des troupes allemandes en diverses directions du territoire français. Elles colportent l'encerclement des troupes alliées dans le port de Dunkerque et leurs conquêtes éblouissantes obtenues par les chars de Guderian et de Rommel. Notre père s'intéresse donc à ces informations affligeantes pour les troupes françaises et c'est le cœur serré qu'il entrevoit l'invasion de notre patrie.

            A ce titre, il lui est rappelé qu'il est toujours soldat et qu'il n'a pas satisfait aux exigences de sa démobilisation à Rouen comme cela lui avait été demandé. En réponse subito presto, il précise aux autorités militaires de la caserne Pélissier qu'il est toujours dans l'incapacité physique et matérielle de se rendre dans la capitale normande et qu'il a fait le nécessaire pour détruire tous ses papiers compromettants. En conséquence et pour l'éventuel ennemi envahisseur, il ne possède aucun document militaire et se trouve dégagé de toute obligation dans l'armée française.

            En réalité, il n'a pas encore satisfait à cette charge et va s'y employer rapidement. Il a décidé de conserver tous ses documents en les entreposant dans une boîte en fer dans laquelle se trouvaient son rasoir et quelques accessoires. Dans une pièce ancienne qui servait de débarras et qui possédait un sol en terre damée, il décide de creuser un trou conséquent pour la disposer au fond et recouvrir le tout en terre et la tasser solidement. Hélas et malgré ses multiples précisions, ce qu'il n'avait prévu lors de son intervention, c'est mon arrivée subite pour me trouver à ses côtés. Ouf, il est très surpris et lui qui ne voulait que personne le sache, sauf son épouse, se trouve confronté à ma présence ! Ayant une confiance absolue en son unique fiston, il s'arrête et très sérieusement  m'explique les raisons de cette indispensable cachette. Il insiste qu'il ne faut en aucun cas et en toute circonstance garder cela secret entre nous. Tu me le promets mon p'tit gars et je peux compter sur toi mon p'tit Bernard chéri ! A sept ans et demi, j'assure mon brave père et de toutes mes forces que j'avais personne n'en sera informé et tu peux avoir confiance en moi mon cher papa adoré. Ce secret fut bien gardé tout au long de l'occupation allemande et ce petit fait ne sera révélé qu'au cours de réunions familiales d'après guerre, pour le plus grand plaisir de nos hôtes.     

     

  Vision de la façade de la maison en 1939          Vision de la façade de la même maison
                                                                                                        vers l'année 2010

            Afin de bien positionner l'endroit exact dans lequel se trouvait la précieuse boîte en métal qui contenait tous les documents militaires de mon père, il suffit de localiser la poule dans l'embrasure de la porte, à gauche, puis prolonger en ligne droite d'environ deux mètres et c'est là que le trou a été effectué dans un sol en terre, puis rebouché et piétiné pour effacer toute trace suspecte.

          Enfin et pour conclure sur cet épisode, j'en profite d'associer deux photographies identiques à 70 ans d'existence et où toutes ces nécessaires transformations et réalisations ont été effectuées par mes soins.

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                        LE TERRIBLE CHOC A LA VUE DES PREMIERS SOLDATS ALLEMANDS

              Notre père prête une attention toute particulière à la carte de la France. Il constate qu'une ligne droite relie la ville de Calais à celle du Havre en traversant les villes côtières de Dieppe – Saint Valéry en Caux – Fécamp et qu'elle peut s'effectuer très facilement sous l'ombre d'une quelconque résistance française. Selon son jugement, il nous prévient qu'il faut s'attendre à ce que les troupes allemandes soient prochainement chez nous !              

         Par ailleurs et depuis un certain temps, beaucoup de gens du Nord de la France craignent l'invasion des Allemands en supputant des atrocités, violences, viols et agressivités de leurs soldats et cherchent à les devancer en se réfugiant vers le Sud ! Ainsi, l'on assiste sur nos routes normandes à un déferlement de populations errantes et désorientées. Cette période est qualifiée " d'exode massif ". Dans les mêmes convois, l'on assiste à un mélange de familles complètes alternant avec des troupes françaises ou alliées qui fuient devant l'assaillant. Au cours de la déroute des armées françaises, l'aviation ennemie s'active à pourchasser les soldats récalcitrants en les arraisonnant de mitraillages répétés ou largages de bombes. Il s'ensuit dans ce désordre indescriptible des morts civils, comme des militaires. C'est une terrible épreuve qui découragent ces populations et qui laissent beaucoup de matériels endommagés sur les bords des routes.

          Les nouvelles colportent tous ces événements tragiques et définissent les pertes en vies humaines. A ce titre, notre déterminé père  Henri se refuse à partir et à laisser sa petite fermette et ses animaux. Il nous fait comprendre que cela ne servirait à rien, car les troupes allemandes nous devanceraient très rapidement. Malgré tout, nous appréhendons leur arrivée et l'on s'en méfie beaucoup.

            Nous sommes donc à l'écoute des informations que le papa veut bien nous communiquer et après sélectionner ce que nous pouvons comprendre. Ma nature curieuse lui pose des questions en relation avec mon âge et ce que nous échangeons avec mes meilleurs copains de classe. Tantôt, il s'applique à m'expliquer tel détail et parfois, il en élude la réponse volontairement. Tout récemment, l'on apprend qu'ils ont pris la ville d'Amiens, puis celle d'Abbeville et qu'ils ont franchi la Somme. Cela se rapproche nous précise Henri et il faut penser que leur objectif reste la prise de la ville de Dieppe. En effet et bien que la date soit contestée, l'invasion de Dieppe reste fixée à la date officielle du mardi 11 juin 1940. 

            En dehors de cette péripétie qui précédait l'invasion allemande de quelques jours, voire deux à trois semaines tout au plus, la vie continue et notre père s'affaire, avec assiduité et détermination, à poursuivre sa rééducation bien élémentaire, mais malgré tout avec efficacité. Des progrès sont enregistrés et sa marche s'améliore au fil des jours. Bientôt, ses efforts se trouvent récompensés car il peut se débarrasser de ses deux précieuses béquilles en les abandonnant pendant un certain temps. Au début, ses pas sont assez hésitants, puis ils s'affirment chaque jour davantage. Peu à peu et avec des améliorations notoires, il reprend goût à la vie et le moral redevient meilleur. Certes, il alterne encore des périodes de travail avec des moments de détente…,  à lire les informations et se tenir au courant des principaux faits de guerre qui relatent l'invasion progressive des armées allemandes dans le nord-est de la France notamment ! Cependant, il est rappelé que l'objectif primordial de l'Etat Major allemand,  sous les ordres péremptoires du paranoïaque Adolf Hitler, est de conquérir au plus vite toutes les régions en bordure de la Manche et de l'océan Atlantique. Et bien sûr, ils argumentent que leurs finalités restent prioritairement la conquête de l'Angleterre dans les plus brefs délais. Ils affirment devoir profiter du désordre actuel de leurs Armées en déroute, puis en pleine restructuration, pour être aptes à réagir le plus rapidement possible face à un adversaire du IIIème Reich redoutable sur Terre – Air et Mer. Bientôt, ils vont en avoir terminé avec l'encerclement du port de Dunkerque et son invasion totale, ce qui leur assurera la conquête rapide de la partie nord-ouest du Pays. Il est aisé de constater que leurs avancées spectaculaires face à des troupes françaises en déroute et en armement militaire d'un autre temps, n'offriront que peu de résistance à celles de l'Axe qui n'en feront qu'une bouchée et de nombreux prisonniers.

                     L'effroyable vision de l'invasion de la paisible commune de Luneray 

au lieu dit "Le Ronchay" par les trois premiers soldats allemands le mardi 11 juin vers 17h30

            Il est à préciser que j'ai assisté en direct à ce déconcertant scénario et que je vais prendre soin de le rapporter dans la plus fidèle certitude ! Il est 17h30 et je suis rentré de l'école depuis 3/4 heure. C'est bientôt l'heure de la traite dans une pâture qui se trouve au Val Mildrac, située à environ un kilomètre de l'habitation. Notre père progresse chaque jour et s'en réjouit, mais il ne peut encore assurer la traite des vaches. Toutefois, il accompagne sa femme qui a encore la charge de ce travail, pour lui venir en aide de diverses façons. De mon côté, je partage ces moments délicieux avec l'aide du petit vélo de mon cousin René que tante Edith m'a courtoisement et généreusement offert. Bref, le temps est convenable, mais pas ensoleillé, pour se diriger vers le pâturage ! Je les précède toujours. Des bâtiments (poulaillers - étables – écuries et granges) érigés en bordure de route empêchent toute vision et il faut sortir prudemment.

         Je les précède donc et je m'aventure à franchir la petite barrière attenante au poulailler, et qui donne sur la route caillouteuse. En regardant sur ma gauche, c'est la stupeur effroyable à la vue de trois soldats allemands qui avancent en ma direction. Deux sont à cheval et le troisième les suit à bicyclette. Tous trois sont armés d'un fusil "Moser" qu'ils portent en bandoulière. Dans un brusque moment de recul, je pousse un cri effrayant et reste époustouflé, voire hébété ! Mes parents qui me suivent se demandent la raison et m'interpellent. Je ne peux leur réponde car les trois envahisseurs sont déjà face à eux. D'un salut réglementaire, ils l'accompagnent de sourires en mimant le recul du petit garçon avec son vélo. Cette scène n'a duré que quelques secondes, puis prolongent leur parcours jusqu'à l'entrée du Tissage de jute de M. Raoul Lardans, sis à côté de notre fermette. L'un des cavaliers pénètre dans l'entrée pendant que son collègue se poste en guet et surveille attentivement. Le cycliste s'aventure un peu plus loin jusqu'au carrefour, inspecte sommairement, puis revient vers eux. Comme ils étaient arrivés, ils empruntent la même route, pour repartir vers leur casernement. Au passage devant nous, ils font à nouveau le salut hitlérien, puis disparaissent.

           Mes parents sont désorientés et choqués car ils ont reçu un terrible choc en plein cœur. Maman se précipite vers la maison pour préciser à Marie-Thérèse qu'elle ferme bien toutes les portes à clef et que ses sœurs ne répondent à personne durant leur absence. Puis, l'heure est venue de se rendre vers l'herbage. Sur la route qui les mène vers les vaches, leurs proches voisins qui ont vu l'arrêt des trois soldats les interpellent ainsi : " Henri, tu les as vu de près et qu'est-ce-qui t'ont dit ? – Non, rien de précis car ils ne parlaient pas le français…, mais uniquement par des gestes mimés sur le recul brutal de notre petit garçon Bernard. – Ҁa y est mon cher Henri, ils sont là pour un bon moment ces sales boches et cette vermine et l'on est bien dans la m….! Je partage tes impressions Samuel, mais il va falloir rester prudent dans nos expressions, comme dans nos gestes, car les représailles seront à craindre !" Après ces petits échanges, l'heure est au travail. Ma mère s'emploie à traire ses vaches pendant que papa et moi s'activons à nos menus travaux quotidiens (aller chercher les vaches – verser de l'eau dans la grande cuve – réparer les fils barbelés des clôtures- verser le lait dans de grands seaux avec couvercle - etc.). Tout le petit monde s'emploie à faire vite et bien, car chacun est pressé de rentrer à la maison.

          De notre retour, les trois filles se réjouissent et nous demandent des précisions sur ces trois soldats allemands. Notre père trouve les mots adéquats pour décrire leur bref comportement et surtout des mots rassurants pour qu'elles ne soient pas effrayées et ne paniquent plus lorsqu'elles vont voir des compagnies entières de soldats envahir nos campagnes.   

          En effet, le lendemain mercredi 12 juin, le gros de la troupe prend possession de la commune de Luneray. Ils en privilégient sa situation géographique. Les soldats et leurs officiers s'organisent et sont à la recherche de terrains ou maisons en vue d'assurer leur hébergement. Au cours de la matinée, c'est le moment où ils assistent à un spectacle affligeant de scènes de pillages et vols par des civils français dans les magasins de commerces fermés. En effet, certains commerçants ont redouté l'arrivée des soldats allemands et ont rejoint l'exode massif en partance pour les régions du Sud. Aussi, depuis le matin très tôt, des énergumènes peu scrupuleux ou mécréants ont pénétré par effraction dans les locaux et sont ressortis avec des articles en tout genre, des victuailles de toute nature ou des liquides des entrepôts, voire le costume de marié de M. Leprince qui est prisonnier de guerre ! C'est un véritable carnage et devant cette attristante vision, l'un des officiers allemands sort son révolver et tire plusieurs fois en l'air pour sommer les habitants d'arrêter ce pillage. Tous sont pris de peur ou de panique et lâchent leur forfait, pour s'éclipser honteusement et rapidement.

            Par ailleurs, leur choix se porte sur l''une des pâtures, en face notre fermette, qu'ils réquisitionnent pour héberger une trentaine de soldats. A nouveau, l'on est saisi de stupeur car l'on appréhende leur promiscuité. A peine ont-ils inspecté les lieux, qu'ils déterminent les surfaces à creuser pour dresser leurs toiles bâchées dessus. Ils creusent ainsi des rectangles délimités, sous une profondeur d'environ 80 cm, pour abriter une quinzaine de trouffions. Dans ces fosses, ils les remplissent de paille fraîche pour leur assurer un genre de matelas assez consistant. A l'abri des arbres environnants et supplantés de toiles de tente épaisses, ils peuvent assurément affronter les rigueurs hivernales. De surcroît, ces ensembles rudimentaires sont pratiquement indétectables par les aviateurs alliés.

            Déjà, l'on est bien conscient que ces travaux de casernement pour la troupe, alors que leurs officiers sont beaucoup plus confortablement installés, dans de belles pièces, réquisitionnées chez l'habitant ; que ses diverses implantations sont faites pour durer et qu'il faut s'attendre à les supporter durant de longs mois ! Le constat est affligeant pour le moral des habitants et ils s'apprêtent à vivre des périodes bien difficiles.

            Malgré tout, les vieilles habitudes reprennent du service et chacun s'efforce de vivre comme précédemment, mais avec beaucoup de réserve et de mutisme. De son côté, Henri retrouve peu à peu ses forces d'antan et s'intéresse toujours aux actualités politiques et générales. A peine vient-on d'être envahi que notre père perçoit la conquête imminente de Paris, tant les diverses conjectures se recoupent pour affirmer sa prise très prochaine. 

            Ainsi et moins de deux jours suivants, le vendredi 14 juin 1940, les troupes allemandes envahissent la capitale et les autorités déclarent Paris ville ouverte. C'est le triomphe absolu, puis leurs soldats défilent sur les Champs Elysées au pas cadencé ! C'est la consternation générale et une profonde amertume est ressentie dans les cœurs des Français. Mes parents sont éprouvés et sombrent dans une désolation profonde. Le chef de famille laisse couler une grosse larme, qui en appelle d'autres  ruisselant sur ses deux joues éplorées. Notre mère l'imite, puis nous assistons avec effondrement à ces scènes très difficiles à observer. Tout cela est très communicatif et nous les imitons considérablement à notre tour.

            Dès le lendemain, la vie quotidienne reprend ses droits. Les larmes ont cessé et le travail se rappelle à notre bon souvenir. Chacun évite le contact avec l'occupant et respecte le couvre-feu qui vient d'être décrété. Une pesanteur de contrainte permanente s'établit déjà dans la population.

            Le dimanche 16 juin arrive à point pour mettre un peu d'ordre dans les esprits. La messe dominicale est maintenue par l'abbé Létournel et le culte protestant se pratique avec le pasteur Buff. Les deux collégialités constatent leurs édifices religieux au grand complet et s'en félicitent. A l'intérieur de l'église, l'on dénombre quelques officiers et soldats allemands qui semblent jeter une quelconque suspicion et interpellent certains esprits récalcitrants ! Sont-ils là par dévotion ou simplement pour observer le prêche du prêtre et l'attitude des fidèles ?  En revanche, à la sortie des offices et alors que le réputé marché de Luneray est ouvert, les langues vont bon train pour décrier les fâcheux agissements des vandales qui ont pillé les commerces locaux et qui ont horrifié les autorités allemandes, au point d'avoir recours à leurs armes pour mettre fin à ces orgies.

 

                 LE PRÉSAGE D'UNE LONGUE PÉRIODE D'OCCUPATION JUSQU'A LA LIBÉRATION

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            L'occupation des territoires ne fait que commencer et quiconque s'aventurerait à en projeter, voire à en affirmer la fin, serait bien audacieux et présomptueux. Certes, Paris vient d'être envahi après une capitulation sous condition. Le 16 juin, le Président Albert Lebrun nomme Philippe Pétain, comme Président du Conseil en remplacement de Paul Reynaud démissionnaire. Le 18 juin, de la BBC de Londres, c'est l'appel du Général de Gaulle à la résistance et au combat des Forces Françaises Libres. Il a tout juste été élevé au grade de Général le 05 juin courant.

           Le 22 juin et suites aux négociations, l'armistice Franco – Allemand, a la demande du Führer et en sa présence, il est signé dans le célèbre wagon de la signature du 11 novembre 1918 en forêt de Rethondes. Elles stipulent notamment que l'Etat Français sera coupé en deux zones distinctes par une ligne de démarcation. Une occupée qui s'étendra de la Belgique jusqu'aux Pyrénées et qui coupera la France en deux. Elle englobera toute la partie occidentale du littoral de la Mer du Nord – de La Manche et de l'océan Atlantique en partant de Dunkerque jusqu'à Biarritz. La seconde, se situera dans toute la partie orientale du Jura jusqu'aux Alpes et la Mer Méditerranée et qu'elle sera démilitarisée. La ville de Vichy en deviendra la capitale et abritera le siège du nouveau gouvernement.

           Enfin, le 23 juin, c'est la venue du Führer Adolf Hitler aux aurores pour une visite rapide de trois heures de Paris avec la découverte des locaux de l'Opéra. La finalité de cette visite surprise a essentiellement pour but d'afficher clairement l'hégémonie de l'Allemagne nazie aux yeux du monde !

            Ce très condensé récit du mois de juin 1940 ne se fixe comme devoir que d'en retracer les principaux faits qui ont émaillé sa douloureuse histoire et, de prendre conscience que nous ne vivions plus dans un pays libre, mais que nous devenions des êtres humains assujettis aux exigences des sujets de la race arienne ! 

            Désormais, nous savons que nous nous situons en terre conquise par l'occupant allemand et qu'il va nous falloir se plier à leurs péremptoires exigences coercitives. Dans les cercles intimes des maisons d'habitations, beaucoup supputent déjà sur le rôle personnel de chacun, de chacune et émettent leurs réflexions dans le court terme, puis s'adonnent à projeter, à plus long terme, sur les espérances d'une libération ? Entre amis fidèles et sûrs, des échanges sincères sont argumentés sur ce jeune Général Charles de Gaulle, encore bien inconnu de nombreux compatriotes. Déjà, il se chuchote son "Appel du 18 juin" que peu de personnes ont entendu sur les postes TSF, mais que les médias commencent à diffuser avec difficultés ou ruses, afin d'en tenir informés le plus grand nombre de français de métropole ou d'Outre Mer. Dans sa déclaration de résistance à l'occupant et d'une formation de combattants de F.F.L., il invite tous les militaires, en force de l'âge, à bien vouloir le rejoindre pour continuer la lutte armée face à l'agresseur pervers. A présent, cet appel a été bien entendu et les premiers patriotes se rendent en Angleterre pour le suivre et combattre à ses côtés.

            Cependant en ces mois d'été 1940, le grand vainqueur allemand prédomine sur une grande partie de l'Europe et va bientôt étendre sa suprématie sur les territoires d'Asie, dont la Russie. Cette vaste conquête "de l'Atlantique à l'Oural" préconisée par le chancelier Hitler est sur le point de se réaliser et bien maladroit ceux et celles qui en prétendrait le contraire ! Devant cette probable réalisation, tous les esprits s'accordent pour admettre que cette invasion germanique peut durer de très longs mois, voire des années ! Pourtant, une tentative très audacieuse va faire renaître l'espoir l'espace d'un petit moment, d'une petite journée. Au cours de l'année 1942, une tentative de débarquement se produit aux aurores, sur Dieppe et ses environs le 19 Août 1942. Désignée sous la dénomination de "Opération Jubilée", elle est à l'initiative des 6.000 hommes des Armées Anglo-Canadiennes et de 45 américains et 15 français. Le bilan de ses pertes se solde par 3.627 hommes morts, blessés et prisonniers. Ce sont près de 1.000 morts qui reposent dans le cimetière  militaire des Vertus et où des honneurs leur sont rendus chaque année lors de commémorations officielles à la date du 19 août.

            A postériori, il nous faudra dénombrer plus de quatre années d'occupation allemande de 1940 à 1944, durant lesquelles des réseaux de résistance ne cesseront de croitre sous la tutelle de Jean Moulin, nommé par le Général de Gaulle, pour unifier des groupes d'hommes et de femmes afin de rejoindre les Forces Françaises Libres. Il nomme encore le Général Leclerc Chef de la 2ème Division Blindée pour diriger ses brillants soldats et notamment tous les vaillants peuples d'Afrique colonisés et restés fidèles, pour bien représenter la patrie Française lors de sa reconquête.

            Cependant, il est vrai qu'elle n'aurait pu l'envisager seule, sans le précieux et prestigieux concours des Armées Alliées de Grande Bretagne -  des Etats Unis d'Amérique – du Canada et de multiples nations éprises de liberté et que le peuple français leur devra une reconnaissance totale, pleine et entière pour toute l'éternité. Ainsi le mardi 6 juin 1944, les brillantes armées précitées vont entreprendre la plus gigantesque armada de l'histoire de l'humanité avec leurs 5.000 navires pour assurer le débarquement de plus de 150.000 soldats et des milliers de tonnes de matériels à la reconquête de la France sur les plages de Normandie. Cette audacieuse reconquête, baptisée "Opération Overlord" sur cinq plages normandes distinctes, va connaître bien des difficultés pour se maintenir tout au long de la journée, puis semble s'affirmer en fin de soirée. Dès lors, la reconquête du bocage normand va sans cesse progresser, puis peu à peu s'étendre pour atteindre Paris puis les régions du Nord de la France. Toutefois, un commando français placé sous la responsabilité du Commandant   Philippe Kieffer avec ses 177 fusiliers marins va participer héroïquement en s'emparant du Casino d'Ouistreham, véritable forteresse allemande qui gène assurément les progressions alliées dans ce secteur. Il est placé sous les ordres du Général anglais Bernard Montgomery.    

               

     Une partie des Fusiliers marins aux côtés de leur chef le Commandant Philippe Kieffer

              Dès lors et bien que je ne cherche pas à réécrire l'histoire de ces quatre ans d'occupation allemande, mais uniquement m'attarder, de façon sibylline, sur les suites de la libération de la France à compter du Débarquement du 6 juin 1944, je ne peux omettre de signaler la naissance d'un second front en Provence. En effet, Les Alliés se préparent à débarquer sur les côtes de Provence et déclenchent "l'Opération Anvil Dragoon" le 15 août. La 1ère Armée française sous les Ordres du Général français de Lattre de Tassigny s'associe pour prendre une large part dans la libération de ces régions du Sud. Avec une farouche détermination et d'âpres combats face aux armées allemandes, ils luttent pour la reconquête des villes de Toulon et Marseille et les libèrent.

            Ensuite, les troupes de vaillants soldats remontent vers l'Alsace – Lorraine pour reconquérir tous les territoires qu'ils traversent et rejoindre les héroïques soldats de la 2ème D.B.. De victoire en victoire, l'objectif majeur des Forces Française Libres est d'assurer un encerclement des troupes nazies en déroute et de faire le plus grand nombre de prisonniers. Ce sera, en partie, réussi et Strasbourg sera libéré par les troupes du Général Leclerc le 23 novembre 1944.

              Néanmoins, toute la France n'est pas encore totalement libérée. La partie nord extrême, près de la frontière belge, dont Les Ardennes, sont encore sous le joug du IIIe Reich et créent toujours de bien vives inquiétudes. Je viens de prendre mes douze ans le 28.11..., que nous avons fêtés bien gentiment avec le traditionnel gâteau que notre maman "Cordon bleu" nous a fait, que je continue de m'intéresser de plus en plus à l'envahissement de l'Empire allemand et à la fin de son triste règne. En plein hiver glacial, des bruits circulent sur l'éventualité d'un dernier coup d'éclat d'Adolf Hitler en jetant ses dernières forces dans la bataille. En effet, les regroupements de plusieurs unités de chars panzers sont bien aperçus dans l'Est en vue d'une reconquête prochaine ! Petit garçon, toujours très intéressé, je demande quelques précisions à mon père, puis nous échangeons avec mes meilleurs camarades d'école. Nos conversations alternent entre les premières réjouissances en vue de Noël et les craintes qui s'amoncellent sur le Nord-est de la France. Hélas, elles étaient bien fondées, puisqu'aux aurores du 16 décembre 1944, les panzers allemands lancent une terrible attaque surprise et d'envergure qui surprennent les unités Alliées. Au cours de cette gigantesque offensive allemande sur les Ordres du Général Von Rundstedt qui mobilise 300.000 soldats, les troupes alliées ne peuvent que leur opposer 83.000 militaires a leur début. Très vite, le Général Eisenhower ordonne au Général Bradley de réorganiser ses effectifs et les porter à 400.000 soldats et 1.100 chars Sherman. Dès ce moment, les combats s'équilibrent, puis se prolongent avec férocité parfois, pour prendre fin de façon victorieux le 25 janvier 1945.                                               

          Bientôt et après le franchissement du Rhin avec "l'opération Plunder" du 22 mars au 1er avril 1945, l'invasion en territoire allemand va se poursuivre à pas de géant par les troupes alliées dans la partie occidentale ; puis par les armées russes conquérantes du Général Gueorgui Joukov, chef de l'Etat-Major général depuis 1941, dans la partie orientale. Au cours de leurs avancées, ils ne découvrent que des champs de ruines, des destructions  massives et inimaginables, de déplorables charniers et libèrent enfin les derniers rescapés de la Shoa ! Des spectacles horrifiants surgissant des nombreux camps de la mort ou des milliers, voire des millions de vies humaines ont été atrocement mutilées, gazées et réduites au néant. Les quelques rares survivants ne sont que des squelettes cadavériques qui font peine à voir et qui inspirent piété et compassion devant de telles sauvageries indignent d'avoir été conçues et commises par l'Etre humain.

            Enfin, l'on assiste au suicide d'Hitler le 30 avril et sa destruction physique totale pour ne pas être reconnu, lui l'investigateur de tous ces monstrueux massacres et à qui le courage lui a manqué pour se présenter devant ses juges.

            Déjà, l'on assiste à la Capitulation des Armées nazies allemandes le 8 Mai 1945 à Reims mettant fin à ce meurtrier conflit guerrier mondial avec plus de 50 millions de victimes civiles et militaires. Ce n'est donc plus d'espoir qu'il nous faut parler, mais principalement de vaillant courage qu'il faut entreprendre  pour reconstruire et bâtir des pans entiers de villes, cités et d'économies résultant des destructions massives à travers l'Europe et certaines parties du monde.

                                                               ******

             LE RETOUR A LA LIBERTÉ ET L'ACCUEUIL DES SOLDATS ALLIÉS A LUNERAY

            A peine et au grand soulagement de tous les autochtones, les soldats "vert de gris" se sont-ils effacés de nos mémoires…, que des militaires Alliés dont les "G.I." américains surgissent et convoitent le sympathique bourg normand de Luneray. La petite cité n'a pas connue de dégradations importantes et fait toujours figure de commune active et rayonnante.

           La commune de Luneray, vient d'être libérée le 1er septembre  1944 pour le plus grand bonheur de ses habitants. Cependant, la guerre continue et les esprits sont toujours inquiets. Les nouvelles colportées alternent toujours entre de réels succès enregistrés, mais font état d'informations plus alarmantes ? C'est vrai que des points de résistance allemande sont relatés çà et là ! Bref, la vie semble prête à rependre ses habitudes d'antan et son train-train d'autrefois! Je m'achemine vers mes treize ans et à la demande de M. Pierre Villon, géomètre, je vais faire quelques travaux dans son étude le jeudi, mon jour de repos. Je lui confie qu'une unité de soldats anglais et écossais vient de s'installer près de la gare pour assurer des réparations sur des matériels et engins de guerre. J'ai pris contact avec eux, mais le barrage de nos langues rendent très difficiles les échanges, voire incompréhensibles. Il me rétorque : "Mon petit Bernard, je vais t'apprendre quelques mots d'anglais qui te suffiront à bien te débrouiller dans tes conversations avec eux."  Plusieurs leçons me sont données, par ce professeur improvisé, que je m'applique à consigner sur un cahier. Des progrès apparaissent rapidement qui vont me permettre d'échanger bien agréablement. Certes il me faudra souvent les accompagner de gestes complémentaires en fonction des difficultés plus ou moins grandes dans les conversations avec eux.  

 

       L'unique et belle photo familiale prise par mon  bon Ami Paul Healy – G.I. devant la maison en 1945 :                         Le charmant papa Henri – L'adorable maman Berthe – La gentille sœur aînée Marie –Thérèse.                              En bas : Le soldat en herbe Bernard, la plaisante sœur Anne-Marie, la mignonne petite Antoinette.                                                                                                                                           Bientôt, ils repartent car la guerre continue et n'auront séjourné qu'une quinzaine de jours. A peine sont-ils partis qu'ils se trouvent remplacés par des G.I. américains d'une unité d'ingénieries. Je recommence mes visites et tombe sur un brave et plaisant sergent, l'affable G.I. Paul Healy. Lui-même recherche le dialogue et avec mes quelques mots en anglais, assortis de nombreux gestes et croquis, nous établissons des premiers contacts amicaux. Lui-même recherche le dialogue et avec mes quelques mots en anglais, assortis de nombreux gestes et croquis, nous établissons nos premiers contacts amicaux. Ce jeudi 7 décembre je sors du catéchisme et très véloce, je me précipite en leur direction. Paul, artiste peintre, s'affaire dans la confection d'une pancarte routière. Il m'interpelle et j'accours vers lui. Dès lors, nos premiers efforts vont se concrétiser. L'on se promet de se revoir. Il me précise que ses bons camarades Mac Leybourne et James Thorburn aimeraient faire ma connaissance et causer avec moi. Je lui donne mon accord. De mon côté, je lui confie que mon père est à la recherche de quelques litres d'essence pour faire fonctionner sa petite batteuse à blé. Bref, je les invite à faire connaissance de ma famille et ils acceptent. Tous les trois s'aventurent en apportant 20 litres d'essence et de nombreuses denrées alimentaires qui nous font défaut ou que nous n'avons jamais dégustés ! Bref, une amitié naissante va se concrétiser durant leur séjour de quatre mois, pour le plus grand bienfait de toute la famille Morel. 

           Après leur départ pour l'Allemagne et leur retour aux U.S.A., l'admirable Paul Healy va continuer d'entretenir des correspondances assidues et nous envoyer des colis alimentaires régulièrement. Des touchantes relations d'amitié qui vont perdurer et se développer du 7 décembre 1944 jusqu'à sa mort le 27 décembre 2007 à l'âge de 93 ans.

            Une très belle histoire sublime de 63 années, qui met fin à ce passionnant récit de ma prime jeunesse !  

                                                                                                                            Bernard Morel                                                                                                                Un vécu extraordinaire

                                                                                             A Dieppe, le 03 avril 2020

 

 

 

           

 

 

 

 

 

 

 

 

         

 

 

 

 

 

        

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 
 
 
 

 

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